Mon expérience de classe inversée 2/2 : une réussite ?

Dans un article précédent, je vous ai raconté comment j’avais mis en place une expérience de classe inversée pendant quatre mois en Équateur, à l’Alliance Française de Cuenca.

N’hésitez pas à aller y jeter un œil pour en savoir plus sur ce projet : la planification, la création de contenus, ainsi que le suivi des apprenants.

Pour analyser ce que j’ai fait en classe inversée, j’ai choisi de regarder mon expérience à travers deux aspects : les retours faits par les apprenants (grâce aux questionnaires), et les progrès qu’ils ont (ou non) réalisés.

Si vous préférez un résumé en vidéo !

Un bilan positif du point de vue des apprenants sur la classe inversée

Même si j’ai pu sentir quelques hésitations, voire certaines craintes, quand j’ai présenté le projet de classe inversée à mes classes de FLE, les questionnaires qui m’ont été rendus indiquaient que la majorité de mes apprenants ont jugé l’expérience bénéfique.

Des retours sur l’aspect pédagogique de la classe inversée

J’ai analysé les questionnaires de 25 apprenants. Sur ces 25, 20 ont indiqué préférer la classe inversée par rapport à l’heure d’atelier en présentiel. À l’Alliance Française de Cuenca, il y avait une heure supplémentaire pour les élèves qui suivaient quatre heures de cours, et cette heure pouvait être réalisée à distance sur la plateforme Moodle (exercices de révisions) ou en présentiel avec des ateliers (grammaire, phonétique, etc).

Une justification était demandée à la question sur leur préférence. Voici quelques réponses obtenues :

  • « Parce que c’est plus facile d’apprendre après »
  • « Parce qu’en classe je peux éclaircir mes doutes par rapport aux vidéos »
  • « Parce que je pense que la classe inversée c’est amusant et simple »
  • « Parce que comme ça je comprends et c’est plus facile pour moi de rester à la maison »
  • « Parce que ça m’aide à comprendre plus la matière que je renforce pendant les classes et c’est plus facile de comprendre la classe puisque qu’on a vu le sujet avant »
  • « Parce que ça nous aide à améliorer notre grammaire, comme ça on peut arriver en classe et parler du sujet, et nous n’avons pas besoin de prendre le temps de tout répéter »
  • « Parce que ça renforce les contenus et ça fait que l’élève a des connaissances préalables du sujet. En plus,la plateforme peut servir d’aide à la révision »

J’ai été très contente de voir que, d’eux-mêmes, quelques apprenants ont vu les mêmes bénéfices que moi dans la classe inversée, à savoir un gain de temps, une meilleure compréhension de leur part, et une utilisation du temps de classe pour répondre aux questions.

D’autres commentaires me faisaient part des contraintes liées au temps et au déplacement, en insistant donc sur le côté pratique de la classe inversée par rapport aux ateliers en présentiel.

Les critiques envers l’expérience de classe inversée

Revenons un peu au chiffre précédent : 20 sur 25 indiquaient être satisfaits la classe inversée. Les 5 apprenants restants préféraient donc les explications grammaticales en présentiel. Il faut bien le comprendre : c’est une méthode pédagogique qui ne convient pas à tout le monde.

À partir du moment où c’était une bonne expérience pour la majorité, j’en étais moi-même satisfaite. Les 5 non-conquis par la classe inversée m’ont bien précisé que, pour eux, rien ne remplaçait les explications de l’enseignant en classe. Ce qu’on peut parfaitement comprendre, et respecter.

Dans mon questionnaire, j’avais demandé aux apprenants de sélectionner 3 inconvénients parmi la liste ci-dessous :

Mon expérience de classe inversée 2/2 : une réussite ? 1

Ceux qui ont été choisis par plus d’un apprenant étaient les trois suivants :

« Je préfère quand le professeur explique la grammaire en classe »
« Je n’ai pas assez pratiqué la grammaire en classe »
« Je n’ai pas le temps de regarder les vidéos »

Il faut bien avoir conscience de l’importance de la grammaire en classe pour certains. En effet, dans le cadre de ma classe inversée, j’en faisais très peu : juste une discussion en commun, et un exercice ou test de vérification.

Je préférais passer plus de temps sur les activités de réinvestissement à l’oral. C’était trop léger pour certains. Moi-même avec le recul, je me dis que j’aurais dû consacrer davantage de temps à systématiser certains points plus complexes, notamment au niveau A2-2.

Enfin, la contrainte de temps est également à prendre en compte. Compte tenu du format des cours de l’Alliance Française, je devais proposer des contenus qui devaient durer une heure à distance. En réalité, parcourir les ressources et faire les activités en ligne ne prenait pas plus de 40 minutes. Mais même cela, c’était trop pour certains.

En fonction des profils des apprenants, et de leur temps libre disponible pour le français, il faut bien réfléchir à cette contrainte de temps en amont. Selon la structure dans laquelle vous enseignez, je vous conseille d’en parler avant avec votre classe, et de vous mettre tous ensemble d’accord sur le temps à dédier aux contenus de classe inversée à la maison. Comme une sorte de contrat de classe inversée.

La question de l’autonomie : un bel avantage de la classe inversée

Il y a un résultat pour lequel j’ai été agréablement surprise : le gain d’autonomie indiqué par de nombreux apprenants dans les questionnaires.

Quand je parle d’autonomie, il ne s’agit pas d’une autonomie totale : en classe inversée, l’enseignant est un concepteur et un guide, il ne laisse pas les apprenants avancer dans le vide. Non, ici je parle d’autonomie dans le sens où les apprenants vont faire preuve de capacités pour apprendre seuls, à distance, et pour gérer leur temps dans cette tâche.

Dans mon questionnaire j’avais demandé aux élèves de sélectionner trois avantages de la classe inversée parmi ceux qui étaient proposés :

  • Meilleure utilisation du temps de classe pour parler
  • Je peux regarder les vidéos à mon rythme
  • Je comprends mieux les vidéos que les explications en classe
  • J’ai progressé en grammaire
  • Les contenus des vidéos étaient intéressants
  • Plus d’activités en groupe
  • Je suis plus autonome dans mon apprentissage

14 apprenants sur 25 ont choisi l’option de l’autonomie, et certains ont laissé un commentaire :

«  J’ai appris à être une personne autonome pour apprendre »
« Je suis plus autonome dans mon temps »

D’autres commentaires faisaient mention de la possibilité de visionner plusieurs fois les contenus, ce qui permettait de « répéter jusqu’à bien comprendre », et un apprenant a parlé spécifiquement des rythmes d’apprentissages : « J’aime l’utilisation de la plateforme parce qu’elle aide au maintien du rythme d’apprentissage de l’élève ».

La classe inversée : un remède aux différences de niveaux ?

L’un des principaux avantages de la classe inversée concerne la prise en compte des différences de niveaux, en respectant le rythme d’apprentissage de chacun, et la remédiation éventuelle aux difficultés que présentent certains élèves.

On arrive là à un point qui m’intéresse tout particulièrement, et sur lequel il y aurait encore beaucoup de choses à creuser.

Le rôle des stratégies d’apprentissage

Une stratégie d’apprentissage, c’est quoi ? Pour le psychologue MacIntryre, il s’agit « des actions choisies par les apprenants d’une langue étrangère dans le but de se faciliter les tâches d’acquisition et de communication ».(MacIntyre, P.D., 1994, «Toward a social psychological model of strategy use»).

Ce sont donc les petites actions qu’un élève fait consciemment ou non pour faciliter son apprentissage : surligner des mots, recopier, réciter à haute voix, prendre des notes, etc.

Pour les classes où j’avais uniquement des adolescents, j’ai imposé une stratégie d’apprentissage : la prise de notes dans les cahiers. Je n’ai pas donné d’instruction précise sur le format de cette prise de notes. Au début de chaque session en présentiel qui suivait une classe inversée, je regardais les cahiers, et j’en profitait pour donner des conseils, ou montrer à tous le cahier d’un(e) apprenant(e) que je trouvais particulièrement clair et efficace.

Je valorisais la prise de note personnelle, c’est-à-dire quand les apprenants organisaient leurs notes à leur manière, et ne se contentaient pas de recopier simplement la manière dont je présentais les concepts dans les vidéos. Bien entendu, je ne dévalorisais pas la prise de notes de ceux qui procédaient ainsi, en recopiant mon format, mais j’encourageais à la réflexion personnelle.

Mon expérience de classe inversée 2/2 : une réussite ? 2

Chez les adultes j’ai pu observer d’autres stratégies d’apprentissage. Une de mes élèves imprimait des captures d’écran de mes vidéos, et venait avec en classe. D’autres transcrivaient les exercices de la plateforme à la main, dans leur cahier, en notant leurs questions sur le côté.

Lors d’une prochaine expérience de classe inversée, j’aimerais insister sur les différentes stratégies d’apprentissage que peuvent utiliser les élèves, afin de leur montrer clairement comment en bénéficier le mieux possible, et comment trouver celles qui leur correspondront.

Le cas des élèves en difficulté

Malheureusement, tous les élèves ne sont pas égaux en matière de stratégies d’apprentissage.

Les apprenants en difficulté appliquent souvent des stratégies inefficaces, qui ne leur permettent pas d’acquérir un savoir précis. Par stratégie inefficace, j’entends par exemple le fait de mémoriser une liste de vocabulaire sans la signification (j’en ai vu des comme ça), d’utiliser Google Translate systématiquement (vous connaissez sûrement), ou de regarder cinq fois une vidéo de grammaire sans faire pause ni prendre de notes.

Dans mes classes, j’avais deux apprenants de niveau A1.2 qui étaient en difficulté. À la fin du cycle pédagogique, ils n’ont pas réussi l’évaluation de fin de niveau. Même s’ils ont réalisé toutes les activités et les tâches à distance, la classe inversée n’a en rien remédié à leur situation.

Alors pourquoi ? Parce que leurs stratégies d’apprentissage, qui n’étaient pas efficaces dans une classe « classique », ne l’étaient pas non plus en classe inversée. Pour certains apprenants, l’utilisation de la technologie peut faciliter le transfert ou la création de nouvelles stratégies, mais pour d’autres utiliser un ordinateur pour apprendre n’aide en rien à ce niveau-là.

Pour y remédier, il aurait fallu que je suive individuellement ces apprenants en prenant le temps de voir avec eux comment ils regardaient les vidéos chez eux, et comment ils faisaient les exercices. J’aurais ainsi pu leur donner des exemples de stratégies d’apprentissage plus efficaces que celles qu’ils pensaient adaptées pour eux.

Il s’agit en fait d’encourager une réflexion autour de l’apprentissage. J’ai bien conscience que la tâche est immense à ce niveau-là, et qu’on s’éloigne du FLE pour entrer dans la pédagogie pure et dure. C’est le genre de sujet que j’aimerais beaucoup creuser en FLE, étant donné que, en tant qu’enseignant de français, on est souvent confrontés à des profils d’apprenants très variés, aux parcours scolaires extrêmement différents, voire inexistants.

La classe inversée : est-ce que ça en vaut la peine ?

Pour mon expérience, en tout cas, c’est un gros OUI !

Certes, je dois être honnête : je n’ai pas constaté de progrès mirobolants chez mes apprenants. Des progrès, il y en a eu, mais dans des domaines spécifiques.

À l’oral, par exemple. Dans mes niveaux A1.2 et A2.2, j’ai remarqué en classe de nets progrès dans la production orale, ce qui a été confirmé par les évaluations de fin de cycle.

Cela allait de pair avec l’amélioration d’autres compétences, notamment la confiance en soi, et la spontanéité dans la prise de parole. J’ai vraiment noté que les échanges et les activités se faisaient dans une atmosphère de plus en plus sympathique, avec l’ensemble des apprenants qui s’impliquaient dans les activités, là où auparavant seulement quelques-uns monopolisation la prise de parole.

Donc là-dessus, je dirais que la classe inversée a permis d’améliorer la communication en classe. Mais à l’oral seulement…

Et oui, c’est là le hic. Avec mon expérience de classe inversée, les élèves n’ont pas franchement progressé à l’écrit. Avec le recul, j’ai compris que c’était logique, puisque j’ai particulièrement insisté sur l’oral pendant le temps de classe. Je n’ai pas bien équilibré les choses, j’aurais dû donner plus de tâches écrites en classe, et pas seulement à distance.

Il me semble qu’en faisant les productions écrites en classe, la proximité avec l’enseignement permet de mieux corriger tout de suite les erreurs, voire de proposer individuellement des exercices de remédiation. Dans ma classe inversée, je corrigeais les travaux écrits à distance, en envoyant la correction sur la plateforme. Mais… la lisaient-ils vraiment ?

En résumé, voici les aspects positifs de mon expérience :

  • une meilleure communication à l’oral en classe
  • des apprenants davantage impliqués dans leur apprentissage du français
  • un gain d’autonomie
  • une adéquation aux besoins de la majorité des apprenants (temps, apprentissage)

Et les points à améliorer :

  • prendre en charge les apprenants en difficulté avec des conseils sur les stratégies d’apprentissage
  • laisser plus de place à l’écrit en classe
  • pratiquer davantage la grammaire en classe sur quelques points

J’espère que cet article vous a plu ! N’hésitez pas à aller jeter un œil aux autres, dans la catégorie Blog Pédagogique du site (vous voyez le menu en haut à droite ? C’est par là!).

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À bientôt !

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